Trip-Hop.net : Après Gravity, vous sortez Spells, votre nouvel album, avec de magnifiques morceaux mêlant piano, harpe, violoncelle ... Comment l'avez-vous composé et enregistré ? Pouvez-vous nous parler des musiciens avec qui vous avez travaillé ?
Les morceaux ont tous été écrits et pré-produits dans mon studio à Berlin. Puisque je n'ai pas les moyens d'enregistrer la batterie ou une harpe ici, j'ai envoyé les fichiers aux musiciens (Lara, la harpiste, est basée à Los Angeles), en mentionnant que cela devrait plutôt être considéré comme une proposition, parce qu'elle connaît son instrument beaucoup mieux que moi... Et je suis toujours heureux si les musiciens y ajoutent leur touche personnelle. Idem avec Achim, le batteur, et Anton, le violoncelliste. J'avais une idée approximative des pistes et j'en a discuté avec tout le monde, tout en restant ouvert au changement. Cela s'est poursuivi lors du mixage : Nils (ndr : Frahms) a toujours d'excellentes idées pour modifier de petites choses, a priori anodines, mais essentielles dans les chansons pour les amener à leur plein potentiel.
Trip-Hop.net : Pourquoi avoir rejoint Erased Tapes Records ? Apparemment, Nils Frahms a joué un certain rôle sur Spells ? Envisagez-vous des collaborations, avec lui ou l'un des artistes du label ?
Je travaille avec Erased Tapes (qui est mon éditeur) depuis quelques années déjà et on s'est toujours beaucoup apprécié. Je suppose qu'il était tout à fait naturel, et une bonne idée, d'essayer quelque chose côté label également. Etant un grand fan de leur panel d'artistes et de leur travail, c'était un immense honneur d'y être intégré. Surtout que j'avais travaillé avec Nils sur quelques projets avant... Qu'on m'offre la possibilité d'enregistrer (et de ressortir Gravity) est une sacrée reconnaissance pour moi. Je ne peux pas penser à un artiste avec lequel je ne voudrais pas travailler, je suis plus qu'ouvert à toute collaboration ; mais il n'y a rien de prévu pour l'instant.
Trip-Hop.net : Durant votre carrière, vous semblez avoir expérimenté des domaines musicaux très différents, sous le projet Hecq tout d'abord, et maintenant sous votre vrai nom. Qu'est-ce qui vous guide dans votre exploration sonore ? Que voudriez-vous essayer par la suite ?
Pour l'instant, je trouve la séparation entre Hecq et Ben Lukas Boysen suffisante. Hecq est un projet complètement ouvert - permettant à peu près tout, alors que Ben Lukas Boysen se base plus sur des idées conceptuelles, ainsi que l'austérité des compositions. Les deux se complètent très bien l'un l'autre. Quand je ressens le besoin d'expérimenter totalement, façon Jackson Pollock, je vais faire quelque chose sous Hecq ; si survient le besoin de réaliser quelque chose de plus ciblé, contrôlé et canalisé, je travaillerais sous Ben Lukas Boysen. J'ai un nouvel album de Hecq en projet en ce moment, mais tout cela n'a que quelques jours et a besoin de maturer encore un peu.
Trip-Hop.net : De Spells émerge une profonde mélancolie : est-ce le reflet d'une humeur contemplative ou d'une certaine tristesse ? Autre chose ?
C'est intéressant que, d'un point de vue personnel, je trouve Spells beaucoup plus léger et presque plus "pop" que Gravity. Quelques personnes m'ont déjà dit cependant qu'il en émane une tristesse assez intense - ce qu'il me reste encore à découvrir. Oui, j'aime écrire des compositions et de la musique contemplative, mais cela correspond à ma conception personnelle de la beauté et de l'équilibre plus que toute autre chose. A mon avis, certaines personnes pensent automatiquement que quelque chose est triste quand elles ne savent pas comment réagir face à quelque chose d'émouvant (je ne vais évidemment pas nier les définitions personnelles des sentiments, c'est juste l'expérience que j'en ai dans quelques cas). Selon moi, si Spells devait faire ou être quelque chose, ce serait une manière de s'évader afin d'être en accord avec tes propres émotions et ton sens de l'esthétique, et d'y trouver peut-être une beauté différente et utile pour toi.
Trip-Hop.net : Spells m'est apparu comme une belle poésie musicale, à la fois vibrante et apaisante ... Quelle est votre propre définition de la poésie?
Voilà une question difficile. Je suis pas vraiment sûr en fait. J'aime les choses (musique, art, cinéma, poésie) qui expriment toutes sortes d'émotions honnêtes et sans fard, très directes sans se donner trop d'importance. Cela devrait être une expression réfléchie, mais pas une vérité ultime... Fidèle à son art et à sa forme, mais pas trop travaillée, créative mais pas imposée.
Trip-Hop.net : La poésie a-t-elle encore la place qu'elle mérite dans notre monde ? Où et comment la trouvez-vous autour de vous ?
Elle a sa place, mais je pense qu'elle n'est pas appréciée par suffisamment de gens. Tout type de pensée artistique, philosophique ou poétique peut beaucoup apporter (même si ce n'est souvent que de manière abstraite) pour susciter des idées vraiment utiles sur des questions et des problèmes actuels de notre monde. A défaut d'autre chose, c'est un moyen d'élargir notre horizon personnel, de trouver beauté et créativité. J'en trouve tout autour de moi, de manière ordinaire - c'est vraiment juste à notre portée. C'est plus ton état d'esprit personnel qui t'aidera ou t'empêchera de l'utiliser.
Trip-Hop.net : Vous êtes basé à Berlin depuis 10 ans. Est-ce que cette ville est un endroit spécial pour les musiciens et les artistes en général ? Comment expliquez-vous que Berlin soit si attrayante et reste une incroyable source d'inspiration : l'histoire, les gens, un mode de vie ?
Je pense que c'est surtout les gens et le mode de vie - pour moi, il y a l'histoire également, mais à un degré bien supérieur. La raison la plus évidente est que Berlin est encore relativement bon marché par rapport à d'autres capitales dans le monde et qu'il y règne une atmosphère assez détendue et accueillante. Je me suis installé ici parce qu'il n'y avait pas de réel intérêt pour les choses que je voulais faire dans ma petite ville natale, et je me suis dit : " si ça ne fonctionne pas à Berlin, je vais devoir revoir mes choix de vie ". Cette ville vous accueille et vous donne une chance, je dois dire... c'est ainsi que je résumerais les dernières années sur Berlin.
Trip-Hop.net : Quelles sont les tendances musicales actuelles à Berlin ? Est-ce que c'est vraiment aussi dynamique que nous autres rédacteurs français le supposons ?
C'est une bonne question. Je ne me considère pas vraiment connecté aux tendances ou aux lieux en général. Je ne suis pas un clubber mais c'est bien de là que se naissent de nouvelles impulsions. Beaucoup de festivals (comme Atonal ou CTM) proposent toutes sortes d'arts, d'ateliers, de concerts et d'événements dans une même enceinte, ce qui permet beaucoup plus facilement d'accéder à toute une variété d'inspirations en dehors des clubs. De ce que j'en ressens, je dirais que c'est toujours aussi dynamique, peut-être même plus - beaucoup de gens merveilleux font de leur mieux pour garder les artistes et le public connectés et occupés, ce dont je leur suis incroyablement reconnaissant.
Trip-Hop.net : Quelles sont vos principales influences, musicales ou autres ?
Il y en a vraiment beaucoup... Plus récemment, j'ai beaucoup écouté les Transcriptions pour orchestre de Bach et d'autres compositeurs par Leopold Stokowski. C'est comme emmener des compositions déjà étonnantes dans un univers complètement différent, nouveau et vibrant.
J'écoute tout un tas de choses, The Caretaker, Thomas Köner, Stuart Dempster, Tim Hecker, Lustmord, Arvo Pärt, John Tavener, Henryk Górecki, Bach, Bruckner, Rachmaninov, Fauré, Vivaldi, Tchaikovsky, Boards of Canada, AtomTM, Monster Rally, The Orb... et beaucoup d'autres. Il y a toujours quelque chose à trouver quelque part comme je l'ai mentionné plus tôt ... J'aime les films beaucoup plus que les livres pour être honnête, c'est tout simplement plus mon genre de média et/ou de communication, et ça va de Star Wars à Dancer In The Dark.
Sans connaître la moindre chose en matière d'architecture, je me suis toujours dit que je serais devenu architecte dans un univers parallèle... J'apprécie tellement l'architecture sous toute ses formes ; je la vois comme un témoignage incroyable de ce que nous sommes capables, en tant qu'espèce, d'atteindre en termes de créativité et de développement des idées. Cela ne cessera jamais de m'étonner, tout comme les peintures de Rubens, Gustave Moreau, Peter Nicolai Arbo et d'un artiste que j'ai découvert tout récemment, Guillermo Lorca - des oeuvres merveilleuses et émouvantes.
Trip-Hop.net : Un nouvel artiste ou un album à recommander ?
Récemment, j'ai pas mal écouté The Faex Has Decimated de Legiac, et je suis heureux de voir qu'un nouvel album vient de sortir The Voynich Manuscript.
Le Open Road de Luke Howard & Janos Bruneel figure également parmi les incontournables de mes playlists - probablement l'une des expressions d'émotions les plus honnêtes qui soient, comme celle dont je parlais plus haut. Vraiment touchant.
Tout comme la partition de Danny Bensi & Saunder Jurriaans pour le film Enemy de Denis Villeneuve. Qui donne autant le frisson que le film lui-même. D'une beauté parfaite.
Trip-Hop.net : Y a-t-il un projet de tournée pour ceux qui souhaitent vous écouter en concert ?
Je travaille encore dessus, mais c'est prometteur. Toute ma vie, j'ai été un musicien de studio, compositeur et arrangeur, et j'ai été surpris et flatté quand on m'a fait des demandes de spectacles après la sortie de l'album. Mon dilemme est que je dois trouver le moyen de devenir un bon musicien de scène assez rapidement - ce qui est un merveilleux défi, mais qui va me prendre un certain temps. J'ai déjà commencé à répéter avec d'autres musiciens pour voir ce que ça donne, comment, où et quand. On a encore besoin de quelques séances, mais j'ai bon espoir qu'on parvienne à réaliser de belles choses.