Trip-Hop.net : Première question... Urban Sessions, c'est lancé par French Cancan ? Peux tu nous en dire plus sur le concept et sa mise en pratique aujourd'hui ?
Aurélia : French Cancan c'est 3 permanents et des vidéastes en free-lance. On est partis d'un constat qu'en rayon électro il y a avait peu de genres de produits, et que l'image prend de plus en plus d'importance, tout comme les équipements home cinema, etc. Outre les concerts (qui sont de plus en plus nombreux en format DVD), peu sont les expériences qui permettent de vivre la musique différemment que par une simple écoute. On a la logique et l'envie de créer une ambiance pour les soirées entre amis et de proposer autre chose que la télévision ! On a découvert au fur et à mesure des gens très très doués, qui ont véritablement développé un art qui a passé le stade de l'underground et on veut le mettre en avant et l'adapter au support DVD.
Trip-Hop.net : Pas mal de gens ne savent pas ce qu'est un VJ (Visual Jockey). Qui peut me dire quelle est la différence (facile) entre un DJ et un VJ ?
Olivier d'EMovie : Un VJ trie ses images alors qu'un DJ se contente d'enchaîner des disques qui ont été réalisés par des musiciens divers. Le VJ crée ses images comme un live musical en superposant des séquences et en exécutant des fonctions. Je sais mixer légèrement mais je ne suis pas un DJ. J'ai commencé à faire des flyers dans le secteur des musiques électroniques. Je suis graphique à la base, donc j'ai tout de suite comme objectif de retranscrire la musique dans des images. En suivant l'évolution de la technologie (les logiciels se sont développés, comme les ordinateurs), on est arrivé à de l'image vivante, animée. Ma "vocation' de VJ est donc arrivée naturellement, par cette action de retranscription d'image...
Trip-Hop.Net : As-tu eu des références, des idoles que tu as pu suivre ? Quand as-tu débuté ? Non je n'ai pas été influencé, c'est venu tout seul, en 1998... Première rave... J'ai depuis travaillé pour différents projets, comme French Cancan, Addictive TV, des groupes ou des artistes comme Laurent Garnier par exemple.
VJ Carlotta : par rapport à ta question, j'ajouterais que ce qui est important, à mes yeux, c'est 1/ le DJ et 2/ le VJ. J'essaye de me coller au maximum à la musique et pas que ce soit le contraire. Le DJ met l'ambiance, moi je me calle dessus... Je me considère en dessous, un peu comme du papier peint en fait. C'est le DJ le maître. La première fois que j'ai rencontré des Vidéo Jockey, c'était dans un cybercafé. Ils passaient leurs images et ils buvaient des verres en les regardant, ils avaient l'air très satisfait d'eux... Malheureusement, je n'en connais pas d'autres, donc ça reste mon avis, très personnel, et ça explique donc mon attitude expliquée il y a quelques secondes. Je me colle à la musique. Ca me plaît cette idée, que la musique soit au-dessus... J'ai donc connu d'autres VJ grâce à French Cancan. Trip-Hop.Net : c'est marrant, parce que dans l'esprit des gens, le VJing est venu avec de grandes pointures accompagnées d'un VJ, comme DJ Shadow par exemple... non ? Je l'ai vu en concert, et il a exactement reproduit son album "Private Press' et son VJ - j'en suis convaincu - a lancé un truc préparé à l'avance, une sorte de clip, comme un play-back visuel... Il a fait play et tous ses morceaux sont passés dans l'ordre de son album. Ca avait de la gueule, mais c'était vraiment préfabriqué.
Aurélia : Il y a quelques artistes qui ont intégré de la vidéo sur scène sans faire du vrai VJing (ou live de vidéastes) comme Gotan Project. C'est de la performance live avec du post-produit de qualité. Les VJ les plus connus sont certainement aujourd'hui les Berlinois car ce sont eux qui ont lancé la chose... En France, on a le collectif EMovie, VJ Milosh (également présent sur Urban Sessions vol.1) qui sont ceux qui tournent le plus sur la scène électro. Il y a une tendance actuellement qui tend à dire qu'il y a énormément de VJ, mais ce n'est pas vrai. Il y a 3 sortes d'acteurs à discerner 1/ ceux qui font du "clip' (comme Shadow) 2/ les vidéastes (les "vrais VJ si on peut dire) et 3/ ceux qui font n'importe quoi, en utilisant des images qui ne sont pas à eux (archives, clips, etc), des sortes d'apprentis qui font du mal à l'image des vrais VJ... En fait il n'y en a pas tant que ça, on peut lister... une dizaine de VJ en France... Il y a beaucoup de débutants... Les vrais sont des vidéastes car ils créent l'image. Les 4 qui animent ce premier Urban Sessions ont des styles bien distincts, ils sont d'obédience graphique (EMovie et VJ Milosh) ou cinéma/courts métrages (Rod et VJ Carlotta). EMovie part sur de l'abstrait, Milosh mélange vidéo et d'autres éléments, Rod est plus axé sur les effets spéciaux (issus de ses propres films), et JV Carlotta idem avec une session qui est certainement la plus scénarisée, même s'il ne l'a pas voulu.
Olivier d'EMovie : c'est clair : un vrai VJ crée ses images et il les mixe entre elles avec une créa originale. Le VJ ne mixe pas ses images, il envoie des séquences et il orchestre des créations... On a commencé avec un magnétoscope à l'origine, maintenant on a des logiciels ultra spécialisés très puissants...
VJ Carlotta : Oui mais moi ce que j'ai vu pendant un an, notamment au Batofar (Paris) j'ai vu des trucs que j'aimais pas du tout, c'était du remixage d'images qui ne leur appartenait pas... On se retrouve avec des séquences d'archive mixées avec du Tomb Raider... vraiment à chier. J'aimerais devenir aussi bon que certains vidéastes qu'on pourrait voir à Beaubourg ou au Palais de Tokyo...
Aurélia : Ce qui va être drôle c'est de voir des VJ mixer le travail d'autres VJ, du style Carlotta mixant Milosh...
Trip-Hop.net : Quelle a été la démarche artistique de French Cancan ?
Aurélia : Faire un produit d'ambiance très haut de gamme et uniquement sur la thématique de Paris... Le côté urbain y est très visible. C'était l'occasion faire travailler et de laisser carte blanche à des artistes locaux et de les laisser s'exprimer sur l'univers de Paris. Trip-Hop.Net : Comment les as-tu sélectionnés ? Beaucoup de recherches, j'ai rentré pas mal de monde. J'avais commencé par chercher sur Berlin, il y a avait plus de monde à voir et en parallèle j'ai rencontré des gens sur Paris, et j'ai tout vu (du pire au meilleur) pendant environ 2 mois, pas à plein temps mais activement. Le jeu du réseau a pas mal joué également, mais j'ai vu vraiment de tout (je ne rentrerai pas dans les détails !) (rire).
Trip-Hop.net : Du côté de groupes musicaux qui ont participé au projet, comment les as-tu sélectionnés et présentés aux VJs qui allaient devoir travailler dessus, en s'inspirant de Paris ?
Aurélia : On voulait avoir des labels de la scène électro, connus à l'étranger et représentatifs de la scène Française... FCom, Versatile sont bien connus par exemple. Et puis des artistes chez EMI. C'est très très long comme process, quand on compare à la production des VJs ! Certains artistes sont d'humeur changeante, d'autres attendent, etc. D'autres ont un rapport à l'image tellement important qu'ils n'ont pas pu intégré le projet, comme les Gotan Project par exemple. Ils ne voulaient pas que leur musique soit associée à une autre vidéo que la leur... Encore une fois, ce sont surtout les indépendants qui sont réactifs, mais ce n'est pas une surprise, les gros artistes étant forcément plus prudents... Trip-Hop.Net : Vous avez les TroubleMakers tout de même ! Oui, ils ont super bien réagi... "County Farm' est je trouve, le meilleur titre de leur dernier album... Plus globalement, un musicien a mixé l'ensemble en 4 sessions successives. Une fois les 4 sessions prêtes, on les a présentées aux 4 VJs et ils ont choisi.
Olivier d'EMovie : La mienne est la plus électro des 4 je trouve. Je ne me voyais pas créer des images pour les autres sessions, donc c'est bien tombé ! C'est important de mixer des musiques qui te plaisent. Ca m'a pris environ 1 mois temps plein, des prises de vue à la réalisation... Je voulais par exemple prendre la Rive Gauche en photo depuis la Rive Droite. Tout en numérique. Il doit y avoir 95% de photographies et 5% de prises de vue dans mes images. Presque que de la photo.
VJ Carlotta : Je tiens à dire que ce qu'il y a de mieux (en tant que VJ) dans le DVD est fait par EMovie ! C'est sur la piste 8 (Nova Nova : Pump ! (Shake It Up) Minimal Matter) et je n'ai pas été soudoyé pour dire ça ! (sourire) et d'ailleurs ma femme pense la même chose ! Pour revenir à mes sentiments et à la musique, j'ai choisi la 4ème parce que j'aime beaucoup le morceau de Sylvain Demercastel.
Aurélia : C'est vrai, il est passé du hard-rock-métal à un statut très lounge-calme. C'est un autoproduit pour l'instant, très prometteur je trouve.
VJ Carlotta : J'ai essayé de faire 4 créas très différentes... et les morceaux s'y prêtaient bien. Et au niveau visuel, évidemment : Paris.
Aurélia : Je vais dire quelques mots pour Milosh : il travaille déjà pour Versatile et FCom et Johann Bourquenez est un ami à lui, ça explique pourquoi il a choisi sa séquence (qui contient Laurent Garnier, I :Cube et cet artiste, ndlr). Enfin pour Rod, il a eu un fit très clair avec le morceau des Troublemakers et également sur Château Flight et Vista Le Vie pareil...
Trip-Hop.net : Y a-t-il un projet live ?
Aurélia : Oui, par exemple lors de la soirée de lancement, et plus tard (dans les espaces VO des Galeries Lafayette début décembre 04) on fera des performances live. On a comme objectif d'avoir le module Urban Sessions à disposition pour des soirées pour des lieux qui sont désireux d'aller dans ce sens. Il y a aura certainement des surprises :-)
Trip-Hop.net : Question ethnologique : y a-t-il une communauté de VJs ?
VJ Carlotta : Comme je te disais, je ne connaissais personne ou presque avant Urban Sessions, donc j'ai envie de te dire que à ma connaissance : non. C'est souvent des bandes... Ils ont des contacts et ont constitué des groupes de VJs.
Olivier d'EMovie : Il y a des VJs qui se rencontrent et qui ont des intérêts communs. J'ai envie de te dire : oui il y en a une, on ne peut pas encore parler de communauté à proprement dit, mais ça vient, parce que ce sont souvent les mêmes personnes...
Aurélia : Ca peut passer par des labels audiovisuels, comme Addictive TV, comme French Cancan...L'objectif pour eux c'est de se développer tout en restant assez indépendant je pense... On a tous intérêt de démocratiser cette notion de VJs professionnels et de déloger Fashion TV des écrans plasma ! (rires)
VJ Carlotta : Tout le monde veut de l'image, donc on en met et on se retrouve avec n'importe quoi ! On se retrouve avec du foot à gogo, Fashion TV, etc... Tous ces gens seraient preneurs pour avoir des VJs mais il y a encore des questions de budgets... Quoique beaucoup de VJs encore sont prêts à travailler pour des tarifs très bas ! pour le plaisir presque !
Aurélia : On est aussi faits pour passer dans des bars ou des hôtels branchés qui recherchent une plus-value originale... Certaines marques dans le luxe notamment sont aussi à la recherche d'experts vidéo-image pour réaliser des clips institutionnels ou des créas d'ambiance pour des lieux de vente, etc...
Trip-Hop.net : Vous considérez-vous comme des compositeurs ou comme des producteurs/collage ?
Olivier d'EMovie : On est des auteurs, purs.
VJ Carlotta : Je préfère être l'auteur de mes images, mêmes si elles sont moins bonnes que les 35mm de Hollywood, que de piquer des trucs !
Trip-Hop.net : Quelle sera la grande différence entre le DVD et vos performances live ?
VJ Carlotta : ce qu'on fait pour des supports fixes (comme Urban Sessions) sont faits sur des logiciels de montage que l'on n'utilise pas lorsqu'on est VJs live. Ce qu'on fait en live rentre dans un autre travail, une autre préparation, mais le résultat ne sera jamais aussi synchrone que sur le support DVD ! Même en connaissant les morceaux par coeur. C'est le live qui nous fait progresser. Ce que j'aime dans le VJ, c'est de fait de jouer en live, en direct, sur un tempo et lié à la musique, comme un musicien... Il y a une vraie différence donc. Il y a des tas de logiciels terribles en plus. Dis moi Olivier, comment tu fais toi pour mixer des trucs aussi beau en live ?
Olivier d'EMovie : Il y a des logiciels extrêmement prometteurs (comme Module 8, une sorte d'After Effects) qui permettront d'atteindre un très bon résultat avec des systèmes de calques. On a tendance à regrouper tout en un bloc ces temps-ci, c'est super intéressant...
Trip-Hop.net : Vous n'avez pas peur des générateurs d'images ?
VJ Carlotta : A partir du moment où on est créateurs d'images, non... je ne pense pas.
Aurélia : L'image est plus importante que la création d'image.
VJ Carlotta : Il faudra toujours quelqu'un derrière pour actionner des fonctions...
Trip-Hop.net : Quelle sera la prochaine ville pour Urban Sessions ?
Aurélia : On a fait un questionnaire dans le DVD pour demander aux acquéreurs quelle(s) ville(s) il voulait voir traitée(s). On a pensé évidemment à Berlin, où une partie du travail est déjà faite. Il y a des gens comme Ellen Allien, Funkstörung, etc. C'est l'acheteur qui décidera d'une certaine façon. Il y a aussi Tokyo, NYC, Barcelone, Stockholm, Londres... L'objectif est d'en faire un par an. Ca prend du temps, mais c'était le premier le plus long à faire... Le design notamment a pris du temps : on voulait faire quelque chose de sympa, plus comme une compilation lounge qu'un projet underground.
Trip-Hop.net : Où va-t-on le trouver ce DVD ?
Aurélia : Fnac, Virgin, dans les rayons DVD et CD électro. Sur Paris : Galeries Lafayette, BHV, Le Bon Marché, Colette, Conran Shop, etc... Egalement toutes les librairies branchées, comme celle du Palais de Tokyo. Beaucoup veulent un écran pour faire une démo, c'est vrai que c'est encore le meilleur moyen... Et on a des projets actuellement en cours, on verra. EN ligne, vous pourrez l'acheter sur Amazon.fr, Fnac.com et Alapage.fr.
Trip-Hop.net : Question récurrente et hautement existentielle : quel est aujourd'hui votre rêve musical ?
VJ Carlotta : c'est un peu vieux (et certainement ringard du coup) mais j'aurais adoré être le vidéaste du groupe Underworld...Globalement, ce serait avec un de mes groupes culte en électro... Je vais réfléchir !
Olivier d'EMovie : Boards of Canada ! Mais je ne suis pas pour me limiter à un seul groupe. Globalement, ce serait de Boards of Canada à Kraftwerk... Le rêve complet ce serait de faire des images pour un concert de classique...
Aurélia : La logique de French Cancan ce serait effectivement d'exploiter d'autres courants musicaux, on a commencé par l'électro parce que c'était simple et mature, mais le gothique est adapté, et évidemment le classique et le jazz !
Olivier d'EMovie : Imagine une symphonie de classique avec un trip de vidéaste !
Trip-Hop.Net : Gonzales a fait fort avec son Pianovision je trouve... c'est effectivement des choses qui ont beaucoup de charisme...
Aurélia : Il y a aussi la salle qui joue beaucoup. Faire ça dans un Hôtel prestigieux, comme le Murano...ce serait génial ! Mais aujourd'hui les plus préparés ce sont des lieux comme l'Atelier Renault ou les Rendez-Vous Toyota (les 2 sont sur l'Avenue des Champs-Elysées, ndlr).
Trip-Hop.net : Un message à faire passer à nos visiteurs ?
Aurélia : Osez changer vos habitudes ! Vous achetez des DVD de concert, vous achetez et téléchargez des CD, des albums. Trouvez des produits d'ambiance, qui vous feront découvrir plusieurs artistes, et un art à part entière... Au lieu de télécharger, allez faire un tour sur www.urban-sessions.com et testez le concept en direct !