Auteur: Melmoth
Date: 18-06-2008 09h16
BELOOGA au Cleub le 10 mai 2008.
Il en va de la musique comme de n’importe quelle forme d’expression artistique : les meilleures s’inspirent de la plus haute exigence, en même temps que de la plus stricte humilité. En ce samedi soir, peu nombreux furent ceux qui eurent la chance d’assister à ce qui constitua pourtant un happening majeur pour ceux qui prisent le rock et l’électro pop intelligents. Créé par Christine en 2001 et rejointe par Klute en 2003, le groupe se compose actuellement de ces deux musiciens de formation électro-acoustique qui évoluent en artistes authentiques. Les concerts de Belooga s’étoffent progressivement de tout ce que la pop music peut proposer de meilleur, en termes de compositions comme de traitement des sons. Les mélodies des chansons de Christine, à la fois cristallines et puissantes, sont servies sur une nappe électronique dont la nudité se révèle à la faveur d’un segment a capella ou d’un break mettant en valeur un timbre de voix caractéristique, souvent au bord de la rupture quoi que parfaitement équilibré. De ce point de vue, son jeu de scène de funambule, à la fois sensuel et énergique, reste obligatoirement dans les esprits de ceux qui la voient vivre ses interprétations comme si sa vie en dépendait. A ses côtés, Klute est à lui seul l’incarnation de l’apport fondamental de la culture rock, à qui il donne depuis longtemps des lettres de noblesse. Tout dans son attitude comme dans les arrangements de guitares, basse et batterie, dont il habille les compositions de Christine, respire un parfum essentialiste qui le rattache aussi bien à l’univers de Joy Division qu’à celui des Doors ou des Talking heads. Son obsession à lui, c’est de jouer de la guitare et des instruments organiques afin de constituer l’écrin d’une voix féminine assez intense pour pouvoir prendre son envol, raison de son amour pour Portishead, Catpower, ou encore Siouxsie et ses Banshees. Si Klute n’y prenait garde, les chansons de Christine seraient vite teintées des nuances plus bruitistes d’un Sonic Youth, à la mesure d’un jeu de scène extraverti et haut en couleurs, mais l’économie de l’approche plus minimaliste de Klute, issue du structuralisme et des musiques sérielles, conserve à la musique de Belooga sa fraîcheur et son charme principiel. A cet égard, l’hommage transparent que rend Christine à l’icône Nico ne trompe personne, de même que cette touche de noirceur gothique qui rappelle les Dead Can Dance. On pourrait d’ailleurs croire à l’exposé de ces influences imposantes qu’il y a quelque chose de prétentieux ou d’ampoulé dans leur démarche, mais il n’en est rien. Au contraire, chaque fois que le public se laisse impressionner par l’aspect massif et spectaculaire des spectacles proposés, une note d’humour et de simplicité bienvenue vient désamorcer ce que leurs prestations pourraient comporter d’imposant. Ainsi cette chanson sur l’amour vache et la vision incongrue de la chanteuse munie d’un instrument punitif ou encore cette dédicace à Sue Ellen Ewing tandis que Christine chante son univers impitoyable. Heureusement, nos deux performers ont en commun le Low de David Bowie et les sons de Kraftwerk, Can ou Neu. Certes le soupçon de dub et les syncopes présentes depuis l’origine dans leur musique se font plus rares, mais Klute n’oublie jamais de noyer ses notes de guitare dans une réverbération liquide évoquant tour à tour le travail de David Gilmour, PJ Harvey ou Joey Santiago. En l’espèce, l’aspect quasi-punk dissimulé derrière tant de joliesse et de mélodies chatoyantes éclate ici et là au cours du set et ce n’est bien sûr pas par hasard si les images qui l’accompagnent proviennent de la trilogie des Qatsi ou s’illustra le talent de Philipp Glass. Sur la toile, les images en accéléré de notre civilisation mécaniste servent de background à un gig qui prouve qu’on peut simultanément émouvoir et faire appel à l’intelligence. Plus profonde que celle de Massive Attack ou Morcheeba, la musique de Belooga doit autant au trip hop qu’à la cold wave des années 80 et réalise une synthèse improbable qui n’aurait pas déplu à un David Byrne ou à John Cage. Allez vite les voir sur scène et régalez-vous des grandes épopées que sont Gorgeous ou Earth, manifeste élémental sur lequel Christine vocalise à perdre haleine, suscitant concomitamment moult frissons dans la moelle épinière. Vous n’en reviendrez pas indemnes.
http://www.belooga.net/
http://www.myspace.com/belooga
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