Trip-Hop.net : On a pu voir une réelle évolution depuis "Doubts & Convictions', puis Stereo Pictures Volume 2 (MK2), comment était arrivé ce projet au fait ?
Lionel : C'était une coïncidence, ils nous avaient demandé de bosser sur des remixes de musiques de films et ça n'avait pas pu se faire avec eux. Le projet a été repris par quelqu'un d'autre, sous le nom Cinémix. On s'était revus avec Charles et Nathanaël un soir... on en a reparlé avec Arnaud, en se disant que faire une BO imaginaire serait une excellente idée, et voilà. Le premier volume de Stereo Pictures était de Radio Mentale, le second c'est nous, le troisième DJ Vadim et le 4ème vient de sortie, il a été fait par Howie B.
Trip-Hop.net : Vous avez donc un chemin de cinéphiles pratiquants pour des musiciens... Vous avez toujours été les 2 têtes pensantes ciné, non ?
Arnaud : On aime beaucoup de styles.
Lionel : On a beaucoup regardé de films, ça c'est sûr.
Arnaud : Quand on a un peu de sous on s'achète des films ! (sourire)
Trip-Hop.Net : Tout le monde parle de Philippe Garrel (avec le tube "Get Misunderstood') quand on fait référence à vous, mais vous avez des tas de références françaises et étrangères... Un petit guide pour les fans ?
Arnaud : Dans le répertoire français, il y a Melville, Godard, Renoir, Jean Eustache, Jean-Luc Vigo, Deluc... Lionel ?
Lionel : Je suis très peu cinéma français ; hormis les films noirs/policiers des années 70, je suis plutôt cinéma américain : Scorsese, Kubrick, en plus contemporain Tarantino, Tim Burton pour un ou 2 films... Hitchcock aussi... mais il y en a tellement ! Arnaud est plus pointu que moi, disons.
Arnaud : Il y a aussi quelques films de série B, comme Asia Argento, ou des trucs de cinéma américain de la vieille époque, comme Fritz Lang parmi stat d'autres... mais aussi italien, avec Fellini...
Trip-Hop.net : Dernier coup de coeur que vous êtes allés voir au cinéma... ensemble ?
Arnaud et Lionel : On ne va pas au cinoche ensemble ! Jamais... (rires) juste pour mixer...
Lionel : Bon sinon : oulala... ça fait un moment que je n'y suis pas allé, je dirais Kill Bill, que j'ai vu en DVD...
Arnaud : Moi c'est Vincent Gallot.
Trip-Hop.net : Alors... Fred Berthet (initialement de la formation Troublemakers, qui était un trio à l'époque du premier LP) : que s'est-il passé ? Il n'a pas voulu suivre ?
Lionel : Non, pas du tout... Nous on travaille...depuis 3 ans on n'arrête pas de travailler et après voilà... quand une personne ne se sent pas concernée par le travail, par le nouvel album qui allait arriver, par l'écriture du film, par les invités importants... (featurings) c'est dur... Donc au final, vu que son implication artistique n'existait plus on a décidé de travailler à 2, de resserrer le noyau et de gagner du temps.
Trip-Hop.Net Donc les TroubleMakers aujourd'hui, c'est combien de personnes ?
Lionel : tous les 2.
Trip-Hop.Net : donc Copyshop ? (projet de Fred Berthet en solo)
Lionel : ben écoute non, on n'en sait rien, on a écouté vaguement...
Trip-Hop.Net : la sortie est étrangement proche quand même... (Copyshop est sortie quelques semaines avant "Express Way' des TroubleMakers, ndlr)
Arnaud : Vu qu'il travaillait sur son disque pendant qu'on travaillait sur le nôtre, c'est à peu près sorti en même temps...
Lionel : C'est un peu facile... mais bon. Autrement, le disque ne reflète pas du tout les goûts électro-techno que nous on peut aimer...
Trip-Hop.Net : Moi j'ai été très surpris de voir ce projet sortir, et j'ai vraiment cru que c'était les Troublemakers. J'ai été vraiment déçu... Pour les gens c'est les Troublemakers...
Lionel : Cela dit, nous on n'a jeté aucune oreille sur ce disque... on n'a aucun jugement de ce disque.
Arnaud : On n'était même pas au courant...
Lionel : Le problème c'est que tu sois déçu... C'est vraiment impersonnel je trouve... Enfin bon.
Trip-Hop.net : Alors, passons à l'intéressant : "Express Way'. Que d'invités de prestige ! Comment avez-vous fait ?
Lionel : On a d'abord avancé sur les compositions. Et ensuite on s'est dits il faudrait tel musicien, tel musicien et tel autre, pour enrichir les compos d'Arnaud. On ne parle plus de samples mais de véritables compositions d'Arnaud au piano. Petit à petit, on a eu besoin d'une flûte (Magik Malik), d'un arrangeur (Emanuel Kremer pour les cordes enregistrée à Sofia)...
Arnaud : il y a eu aussi les chansons en français et en anglais qu'il a fallu aller chercher... avec Lionel.
Trip-Hop.net : comme "Everyday is an extension of yesterday' ?
Arnaud : Ah oui, mais non, celui-là n'est pas sur la version definitive de l'album, on a eu un problème de droits...
Trip-Hop.Net : C'est pas vrai ! C'est trop dommage !
Arnaud : (rires) non la voix a disparu... ceci dit l'instrumental est très bien (sourire)
Trip-Hop.Net : oui !
Lionel : Il y a eu beaucoup de versions de cette piste en fait...
Trip-Hop.net : Donc une vraie logique de composition pour cet album ?
Arnaud : De compos et aussi de mélanges, en utilisant des samples. Ne pas être restreint sur les samples que l'on voulait utiliser sur les mélodies au piano était important, tout comme travailler avec de musiciens...Faire de la matière, ne pas être enfermer par un problème technique...
Trip-Hop.Net : Vous avez eu beaucoup plus de moyens pour cet opus que pour le premier !
Arnaud : en fait, on n'avait aucun moyen pour le premier (sourire). Quasiment aucun featuring sur le premier... des petites participations.
Trip-Hop.Net : alors que là ça fuse, tu peux m'en citer quelques-uns ?
Arnaud : Vincent Segal, Sebastien Barthez, Gift Of Gab (Blackalicious), Magik Malik, Julien Lourau, Daniel Garcia, François Baker, DJ Rebel, Minu Celu... Ce sont ces gens là qui ont propulsé les morceaux.
Trip-Hop.Net : et alors, une fois que les musiciens étaient conviés, ils pouvaient personnaliser le morceau à leur style ?
Arnaud : Oui le morceau était construit, et ils venaient poser leur improvisation dessus. Donc on les reconnaît bien sur le disque, naturellement.
Trip-Hop.net : Est-ce que le fait que le fait que vous ayez signé chez Blue Note a influencé votre album sur son contenu artistique ? On voit quelques disques de Blue Note par exemple sur le moyen-métrage...
Lionel : On était chez Guidance, avec une distribution PIAS avant. Et avec le temps (et notre manager) on est arrivés vers Blue Note, le projet MK2 a également favorisé notre itinéraire. Le film "Express Way' est coproduit par MK2... Mais Blue Note c'est très gratifiant c'est sûr... par rapport au catalogue du label, regarde aujourd'hui tant en jazz, en funk, en hip-hop, c'est un label "actuel', classe et classique...
Trip-Hop.Net : Vous apportez une touche moderne, plus puriste qu'un St-Germain...
(silence)
Arnaud : c'est plus musical ?
(sourire)
Trip-Hop.net : Combien de morceaux pour arriver aux 16 titres de "Express Way' ?
Lionel : 16 !
Arnaud : peut-être 17, mais on a quelques morceaux qui n'ont jamais été suffisamment aboutis...mais en général, quand on commence un morceau, on sait que c'est à nous, qu'il nous appartient, on l'achève forcément.
Trip-Hop.net : Au niveau de la compo, vous fonctionnez comment ?
Lionel : Arnaud fait les lignes de piano, après il propose des samples, moi aussi et on se met d'accord, on valide tout ensemble. On se fait confiance. Arnaud sait qu'une ligne de piano qui ne me plaira pas ça vaut pas le coup...
Arnaud : On est très exigeants avec la musique, donc on est exigeants avec nous-mêmes... puisqu'on l'est avec les autres (sourire) C'est sérieux la musique...
Trip-Hop.net : La petite histoire avec Marvin Gaye sur le morceau "Lemon' ?
Lionel : Ce n'est pas un hommage à Marvin Gaye, mais c'est le contenu du texte qui rappelle "What's going on ?' par exemple, et puis la voix de Jules...
Trip-Hop.Net : Et la dernière track avec Lester Young aurait pu être hébergée chez Ninja Tune, franchement !
Lionel : La phrase nous plaît...
Arnaud : C'est une sorte d'hommage, indirectement...
Arnaud : Tu veux dire que ça ressemble à du Cinematic Orchestra ?
Trip-Hop.Net : plutôt Skalpel...
Lionel : et tu as entendu la track cachée ?
Trip-Hop.Net : oui (sourire) mais par hasard, effectivement...
Trip-Hop.net : Mais alors pourquoi pas Ninja Tune, ou Talkin' Loud ?
Lionel : Et bien Ninja Tune ils sont déjà fort occupés, dans leur développement et ils sont en Angleterre...
Arnaud : Ils ne produisent que rarement à l'étranger, si on considère DJ Vadim en Russie (et Skalpel en Pologne, ndlr)... A ma connaissance, pas de français encore sur le label.
Lionel : Mais tu sais on a envoyé notre premier album à l'époque chez eux, mais c'est compliqué de trouver la personne, de la faire écouter, etc... et on est très bien là où on est aujourd'hui !
Trip-Hop.net : Je vous ai vus à une projection au MK2 Bibliothèque F. Mitterrand, la vraie question, c'est quelle est la différence entre Troublemakers sur CD et Troublemakers en live avec images ? Est-ce que le film est vraiment une simple bande originale ?
Lionel : Le film et la musique sont indissociables, ils ont été réalisés en même temps...Le disque parle du film, le film parle de la musique...
Arnaud : Il y a des tons chauds qu'on retrouve dans la musique, dans les images...il y a des dominantes de couleur, des couleurs de peau aussi... Il a des clins d'oeil, des instantanés d'époque...
Trip-Hop.net : Le graphiste c'est toi Arnaud ?
Arnaud : Oui ! Pochette de tous les albums, posters, affiches, etc... avec l'agence C4 un peu pour "Express Way'.
Trip-Hop.Net : Beau boulot !
Trip-Hop.net : Les messages du film ? j'ai pensé à différents thèmes, comme les rapports de force entre les Hommes, l'effet de la décolonisation, la quête d'identité, la sensation d'être déraciné, l'identité par rapport à la société ?
Arnaud : Euh ouais, ça colle ouais.
Trip-Hop.Net : Non mais (rires) qu'est-ce que vous avez vraiment voulu faire passer comme message, je vous sens quand même optimiste à la fin du film !
Arnaud : Oui, il y a un signe de liberté, tu sais chacun n'est pas obligé de travailler dans la société ou d'avoir une place déterminée pour être heureux...
Trip-Hop.Net : Ah bon ? C'est quoi l'alternative alors ? Faire ce qu'on veut ?
Arnaud : c'est d'être un artiste par exemple... C'est une bonne alternative je pense (sourire). Faire ce qu'on veut.
Lionel : ce qui est un énorme privilège...
Trip-Hop.Net : Pour beaucoup, c'est un luxe !
Arnaud : Tout le monde peut risquer de faire ce qu'il a envie de faire !
Lionel : Tout le monde a le choix !
Trip-Hop.Net : la difficulté c'est peut-être de se décider finalement...
Arnaud : comme les gens qui bossent à un endroit et qui ne sont pas contents d'y être mais qui ne font rien pour changer... c'est triste d'un certain point de vue.
Trip-Hop.net : Et ces rails à la fin du film... ? Le destin des gens, qui se séparent en plusieurs chemins ? Il faut choisir sa destinée c'est ça ?
Arnaud : oui, c'est le sens.
Trip-Hop.net : Comment ce sera en live ?
Arnaud : On veut faire ressentir l'esprit du film et de l'album. A travers des animations, il y aura donc un VJ. Tout sera séquencé, comme un spectacle.
Trip-Hop.Net : Comme DJ Shadow ?
Lionel : Non ! Ce sera un vrai concert ! Avec des musiciens !
Arnaud : Magik Malik sera avec nous, Jérôme le remplacera sur certaines dates, notre pianiste, et d'autres qui constituent notre équipe...
Lionel : Faudra qu'on s'adapte à notre public et à la morphologie des salles... et du contexte. On ne joue pas à la Route du Rock comme on joue dans une salle où tout le monde est assis... On va avoir une machine de guerre groove pour nos concerts...
Trip-Hop.net : Bon, Lionel vient de partir, il était excédé par mes questions (sourire) ?
Arnaud : non, c'est son train, il devait partir (sourire)
Trip-Hop.net : Alors, 4 ans pour cet "Express Way', c'est presque un comble ça !
Arnaud : on n'a mis moins que ça en fait, on n'a mis qu'un an depuis la préparation à la finalisation. Au début, on songeait, on concevait, on achetait des disques... On a même storyboardé un peu certains passages.
Trip-Hop.net : Question stupide du journaliste qui demande à un groupe qui vient de sortir son album... : quand sort le prochain ?
Arnaud : album ? Aucune idée ! On va faire vivre ce projet, ce qui est assez éprouvant. On a des tas de trucs à faire en fait...
Trip-Hop.net : On vous voit vraiment évoluer comme des musiciens aujourd'hui (et des cinéastes accomplis) on vous imaginerait bien dans quelque temps jouer du jazz-funk aux côtés de Roy Hargrove, Me'shell Ndegeocello... et tous les joyeux drilles issus de la Prince Generation. C'est un fantasme ou une utopie ?
Arnaud : (sourire) Tout est possible. On n'est pas attaché à l'esprit éléctro à la française. On n'a jamais forcé nos compos dans un sens "Européen'... En fait je ne sais pas du tout ce qu'on va devenir... (sourire)
Trip-Hop.Net : (rires) Aucune collaboration en vue pour l'instant, featuring ou autre ?
Arnaud : Non... pas pour l'instant. On verra bien.
Trip-Hop.net : Question mystique habituelle : Quel serait aujourd'hui ton rêve musical ?
Arnaud : Faire un film d'une heure et demie, un long métrage, qui sortirait en salles d'abord.
Trip-Hop.Net : Vous vous voyez plus musiciens au final, ou cinéastes ?
Arnaud : je pense qu'on peut faire... du cinéma et de la musique (sourire).
Trip-Hop.Net : Donc le rêve, c'est d'être au Festival de Cannes dans quelques années et...
Arnaud : on y était cette année au Festival ! On a joué une bande-son imaginaire pour des gens qui étaient installés sur des transats... et oui...